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Jean Michel Quatrepoint est un journaliste écrivain spécialiste des situations et analyses économiques internationales. Ses nombreux ouvrages consacrés à la situation politico-monétaire internationale sont cités comme ayant valeur d'exemple. Il est de surcroît un amoureux convaincu de Val d'Isère pour laquelle il voue un véritable amour depuis de très nombreuses années. Il est d'ailleurs récipiendaire de la médaille de fidélité de Val d'Isère (Notre photo)
C'est pour ces raisons que nous l'avons contacté afin qu'il nous donne son avis sur ce que représente les retombées du Brexit pour Val d'Isère.

Benoit Launay : Le Brexit aura-t-il pour conséquence d'empêcher les Britanniques de venir en séjour à Val d'Isère?

Jean Michel Quatrepoint : Tout d’abord, il faut dans ce genre de situation garder son calme et ne pas céder à cette sorte d’hystérisation dont les médias qui vivent dans l’instant sont friands. Une hystérie qui est largement due à l’effet de surprise et au fait que les financiers, les commentateurs et les élites ont été pris à contre pied. Ils avaient joué le « remain » et ils ont eu le Brexit. Et voilà maintenant qu’on laisse entendre que ce vote compterait pour du beurre, qu’il faut les faire revoter, voire ne pas en tenir compte. Curieuse conception de la démocratie ! Si les peuples européens sont peu à peu devenus eurosceptiques, c’est précisément parce qu’ils ont le sentiment qu’on décide à leur place et que l’Europe, depuis vingt cinq ans, depuis un élargissement incontrôlé et non souhaité, ne correspond pas à ce qu’ils veulent. Cette Europe a peu à peu laminé les classes moyennes sous l’effet de la concurrence de la main d’œuvre de l’est, puis de l’immigration massive venue d’ailleurs, notamment de l’Afrique et du Moyen-Orient.
Quant à Val d’Isère, les Britanniques y viennent depuis plus de quarante ans, comme ils venaient au XXé siècle sur la Côte d’Azur et le bordelais. Ils ont appris à aimer le ski et ce sont d’excellents skieurs. Ils ne vont pas changer leurs habitudes du jour au lendemain. Pour aller où ? Aux Etats-Unis ? La livre baisse encore plus par rapport au dollar que vis-à-vis de l’euro. En Suisse ? Mais le coût de la vie y était déjà hors de prix. Alors, ne nous affolons pas !

BL : Peut-on considérer que la Livre, alors qu'elle était avantageuse pour les Anglais, va suffisamment baisser pour engendrer ainsi une baisse de leur pouvoir d'achat en France ? Les Anglais ont massivement investi à Val, faisant au passage grimper le prix de l'immobilier. Aujourd'hui, peut-on s'attendre à une revente de leurs biens?

JMQ : C’est un peu une lapalissade. Mais puis-je vous rappeler que la livre début 2011 valait 1,11 euro ? Elle est montée, depuis, jusqu’à 1,43 euros pour redescendre aujourd’hui autour de 1,25. Vous savez quand on a fait une acquisition immobilière, on ne décide pas de revendre parce que votre monnaie d’origine a quelques fluctuations erratiques. Je ne crois donc pas que le Brexit entraîne des reventes. En revanche, cela peut freiner quelques acquéreurs qui voudront attendre de voir comment les choses vont tourner. Cela ne concerne pas les hyper riches, ceux qui peuvent acheter des biens de plusieurs millions d’euros, car ils ont les moyens et les techniques financières pour ne pas subir de plein fouet les mouvements erratiques des marchés.
Je crois que les Britanniques, qui possèdent une résidence secondaire et qui peuvent être pénalisés par la baisse de la livre, vont trouver les moyens de mieux rentabiliser leur investissement (en le louant plus souvent par exemple), afin de compenser leur diminution de pouvoir d’achat en France. Faisons confiance aux agences anglaises de real estate, pour inventer de nouveaux concepts et satisfaire leurs clients.
Il y aura sans doute un impact sur les touristes proprement dits, notamment ceux qui n’ont pas un fort pouvoir d’achat. Outre que ce n’est pas le cœur de cible de la clientèle britannique à Val d’Isère qui est plutôt aisée, il faut attendre le début de la saison. Beaucoup dépendra de l’évolution de la situation en Grande-Bretagne. Personne ne peut prévoir comment les choses vont réellement évoluer. Les économistes, les prévisionnistes se trompent tout le temps. Il faut donc être pragmatique… et s’adapter en fonction des évolutions de la conjoncture.

BL : Peut-on s'attendre à une baisse de l'immobilier? Quelles seraient les conséquences d'une baisse de l'immobilier?

JMQ : On peut s’attendre à un plafonnement des prix, voire à une légère baisse pour le milieu de gamme. Pas pour le très haut de gamme qui est un micro marché spécifique.

BL : Selon vous, les entreprises anglaises travaillant à Val avec des employés britanniques payés depuis le territoire britannique, échappant donc aux charges salariales françaises permettant ainsi de casser les prix, pourront-elles continuer à exercer de cette manière à Val?

JMQ : Cela est un vrai sujet. C’est même un des scandales de la construction européenne. Pour faire simple, il n’est pas normal que les jeunes traders français qui travaillent à la City touchent leur bonus, paient très peu d’impôts et surtout ne cotisent pas au système français de protection sociale, alors que lorsqu’ils sont malades ils viennent souvent se faire soigner en France, aux frais de la princesse, à travers quelques combines sur lesquelles on ferme les yeux. Cela n’est pas admissible. Comme il n’est pas admissible que les employés britanniques travaillant en France, à Val notamment, ne soient pas soumis aux mêmes règles que les salariés des entreprises françaises. C’est cela qu’il va falloir remettre à plat à l’occasion du Brexit. On paie l’impôt et les charges là où on travaille. Impôts et charges sont certainement trop élevées en France, mais il n’est pas normal que l’Europe, celle précisément voulue par les Britanniques hier, soit celle du moins-disant social et de la concurrence déloyale. C’est cela qui mine l’Europe. C’est cela qu’il faut repenser de fond en comble. Les Britannique ont voté le Brexit, au nom d’une certaine idée de la souveraineté. Et je les comprends. C’est cette même idée qui doit nous conduire à appliquer nos règles de souveraineté en matière fiscale et sociale à nos amis britanniques.

BL : Pour terminer, pensez-vous que ce Brexit peut engendrer une dépression économique à Val d'Isère?

JMQ : D’une façon générale, il ne faut jamais être trop dépendant d’un gros client. C’est vrai que le poids des Britanniques était sans doute devenu trop important à Val d’Isère. Il y a quarante ans, c’était Tignes qui dépendait beaucoup trop des Allemands. Il faut donc rééquilibrer en douceur. Aller chercher de nouvelles clientèles. En Asie du sud-est, je pense bien sûr à la Chine. Le maître-mot en matière de stratégie d’entreprises, en matière de tourisme, c’est : diversification. Il faut répartir les risques. Val d’Isère est sans doute une des plus grandes stations de ski internationales. Il faut valoriser la marque aux quatre coins du monde et plus seulement dans les îles britanniques.